Preuve de l’insanité d’esprit lors de la rédaction d’un testament
La preuve de l’insanité d’esprit est une question centrale dans le cadre d’un procès en contestation de testament olographe et authentique. La présente page a pour but de vous éclairer sur la question de savoir comment prouver qu’une personne est saine de corps et d’esprit.
L’insanité d’esprit invoquée permet de solliciter la nullité de tout testament : testament olographe (sous seing privé), testament authentique ou mystique (réalisé avec l’intervention d’un notaire).
La preuve de l’insanité d’esprit du défunt devra être produite par la personne qui exerce l’action en nullité de testament devant le tribunal judiciaire compétent (anciennement tribunal de grande instance).
1- Comment apporter la preuve de l’insanité d’esprit lors de la rédaction d’un testament ?
L’héritier, conjoint survivant ou autre personne appelée à participer à la succession dispose de plusieurs moyens pour apporter la preuve de l’insanité d’esprit du défunt au moment de la rédaction du testament :
- Attestations et témoignages
- Certificats médicaux
- Mise sous tutelle, curatelle, ou placement sous sauvegarde de justice
- Eléments de fait rapportés (hospitalisation, etc.).
2- Exemple de preuves rapportées de l’insanité d’esprit du testateur et de prononcé de nullité du testament
Dans une décision récente, la Cour d’appel a prononcé la nullité du testament pour insanité d’esprit, considérant que la preuve de l’insanité d’esprit était rapportée par le demandeur.
CA Aix-en-Provence, 21-10-2020, n° 17/14882
« – Sur le fond :
Selon procès-verbal de description et de dépôt de testament en date du 8 janvier 2015, maître Marie-Paule Andreani, notaire à Salon de Provence, a déclaré avoir reçu de Ah B Aj, de son vivant, pour en assurer la conservation, le testament olographe en date du 15 décembre 2011, ainsi rédigé :
« Ceci est mon testament
Je soussigné madame Aj Ah saine de corps et d’esprit déclare instituer Mr A Aa comme Légataire universel de la totalité de ma succession.
Fait à Pelissanne le Jeudi 15 décembre 2011. »
Mme Ac B épouse C et M. Ad B concluent à la nullité de ce testament pour insanité d’esprit de son auteur.
En application de l’article 901 du code civil, pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit.
L’article 414-1 du même code dispose également que pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte. Il appartient dès lors à Mme Ac B épouse C et à M. Ad B qui se prévalent de cette cause de nullité de démontrer que Ah B Aj souffrait d’un trouble mental ayant aboli sa capacité de tester au moment précis où l’acte a été rédigé ou bien que cette insanité d’esprit existait, à la fois, dans la période immédiatement antérieure et dans la période immédiatement postérieure à l’acte litigieux. Dans cette dernière hypothèse, il revient à la partie adverse d’établir que le testament a été rédigé dans un intervalle lucide entre ces deux périodes.
Les intimés versent aux débats un certificat médical dressé le 15/10/2008, plus de trois ans avant la rédaction du testament litigieux, suite au décès de la fille de Ah B Aj, aux termes duquel étaient notées une absence de déficit neurologique focalisé outre l’existence de troubles cognitifs modérés (MMS à 2330). Ce certificat faisait suite à une consultation psychiatrique réalisée le 25/09/2008 révélant la nécessité de réaliser une exploration neuro-psyschologique plus approfondie dans le cadre d’un tableau clinique correspondant à une sorte de ‘folie à deux.
Ces éléments médicaux, recueillis trois ans avant la rédaction du testament litigieux, ne peuvent être utilisés pour caractériser une abolition des facultés mentales de la testatrice au moment de la rédaction de l’acte, intervenue le 15 décembre 2011. Ils permettent uniquement de dater l’apparition de certains troubles.
Les consorts B produisent également aux débats un certificat médical daté du 06/05/2011, soit sept mois avant la rédaction du testament, faisant état d’un bilan MMS stable depuis 2008. Le compte rendu d’hospitalisation du 06/05/2011 devait préciser que cette personne âgée avait été admise aux urgences suite à des épisodes de logorrhée et à une suspicion d’accès d’hypomanie ; l’équipe mobile de gériatrie soulevait alors la question de la mise sous tutelle de l’intéressée avec nécessité d’un signalement au procureur.
Du 25 août au 23 septembre 2011, soit moins de quatre mois avant la rédaction du testament, Ah B Aj était hospitalisée pour syndrome anxio-dépressif avec asthénie et difficulté à la marche.
Elle était de nouveau hospitalisée, du 22 mai au 31 juillet 2012, au CHU de Salon de Provence où un scanner cérébral permettait de déceler de multiples lacunes ischémiques au niveau capsulo-ventriculaire bilatéral. Le compte rendu d’hospitalisation mentionnait qu’elle était atteinte d’un syndrome démentiel avec un maintien à domicile difficile.
C’est dans ces circonstances que le docteur Ar, médecin spécialiste inscrit sur la liste prévue par l’article 431 du code civil, établissait un certificat médical, le 22 mai 2012, six mois après la rédaction du testament en cause, concluant que Ah B Aj présentait des troubles du jugement la conduisant notamment à procéder à des achats compulsifs, outre un syndrome de Diogène, l’exposant à tomber dans le besoin et susceptibles de la mettre dans l’impossibilité de pourvoir à ses intérêts. Ce médecin préconisait une mesure de tutelle et précisait que l’intéressée ne pouvait conserver son droit de vote.
Le fait que le docteur Ar ait mentionné dans son rapport que Ah B Aj était autonome pour les actes essentiels de la vie en regard de la grille A.G.G.I.R. ne devait pas l’empêcher de considérer que cette personne âgée était hors d’état d’exprimer sa volonté, à tel point qu’il ne lui semblait pas opportun qu’elle conservât son droit de vote eu égard à ses troubles de jugement.
Le 31 juillet 2012, Ah B Aj était finalement admise au sein de l’EPHAD ‘Les Oliviers’ où le docteur As rédigeait un certificat médical daté du 6 août 2012, faisant état de troubles sévères à type de démence, nécessitant une mise sous tutelle.
C’est ainsi que la procédure de protection était ouverte dès le 1er août 2012 et que la personne âgée était placée sous sauvegarde de justice le 10 août 2012, M. At Au étant désigné en qualité de mandataire judicaire, dans un premier temps.
L’on observera que si l’action en nullité du testament pour insanité d’esprit fait partie des nullités relatives de protection qui ne peuvent être invoquées que par la personne intéressée, son représentant ou, après le décès, par ses successeurs légaux ou testamentaires, il n’en demeure pas moins que la loi n’impose pas que l’action ait été initiée par le de cujus ou le représentant de celui-ci pour que celle conduite par les ayants droit soit ensuite considérée comme recevable ou bien fondée.
Aux fins de démontrer l’état d’insanité d’esprit de leur auteur au moment de la rédaction de l’acte litigieux, les intimés versent aux débats une série de témoignages sur le comportement de la défunte :
– Mme Al Am, infirmière libérale qui suivait Ah B Aj à domicile depuis 2009 jusqu’à son départ en maison de retraite en mai 2012, témoigne avoir constaté une altération de l’état psychologique de cette personne âgée dès le début de sa prise en charge : elle décrit un amoncellement de poubelles dans la maison, des achats compulsifs et le fait qu’elle se déplaçait avec des enveloppes remplies d’argent liquide ;
– Mme Av Aw, aide à domicile de Ah B Aj, témoigne de ce que celle-ci lui avait annoncé à plusieurs reprises qu’elle allait vendre la moitié de son terrain à un jeune homme (…) ; elle évoque la grande fragilité psychologique de la défunte qui faisait ses courses tous les jours et achetait de la nourriture en telle quantité qu’elle était obligée de la jeter;
– Mme An Ao épouse Ax, responsable du CCAS de Pelissanne, atteste être intervenue au domicile de Ah B Aj pour prendre la défense de ses intérêts face à des personnes mal intentionnées qui voulaient l’exploiter ; elle évoque la fragilité et la vulnérabilité de Ah B Aj, la volonté de M. Aa A d’acquérir une partie de son terrain et le fait qu’il ait entrepris d’y faire abattre des arbres afin de prendre possession des lieux, tout en faisant croire à la défunte qu’il s’occuperait d’elle en contrepartie; elle précise que Ah B Aj retirait des sommes importantes au distributeur, avait perdu la valeur de l’argent et achetait tout en double ou en triple.
Par ailleurs, divers voisins, artisans ou commerçants de Pelissanne, ayant bien connu Ah B Aj, viennent attester de ses achats compulsifs et de ce qu’elle était capable de donner d’importantes sommes d’argent, faisant ainsi preuve d’une prodigalité pathologique.
Les témoignages [tendant à démontrer l’insanité d’esprit lors de la rédaction du testament] aux termes desquels Ah B Aj se déplaçait avec d’importantes sommes d’argent sur elle sont parfaitement crédibles lorsque l’on détaille ses relevés de compte Crédit Agricole qui font apparaître d’importants retraits DAB, pouvant aller jusqu’à quatre fois mille euros au cours d’une même journée comme le 10 février 2011, le 13 mai 2011, le 11 août 2011, le 10 novembre 2011, le 14 février 2012. Ces importants retraits au distributeur cessent à compter du mois de mai 2012, date qui correspond à la prise en charge hospitalière de la personne âgée avant l’ouverture de la mesure de protection.
En regard de l’ensemble de ces éléments, il est établi que Ah B Aj souffrait, depuis au moins 2008, de troubles psyschiatriques caractérisés par un syndrome de Diogène, des achats compulsifs et d’importants dons d’argent dont elle pouvait faire bénéficier voisins, artisans et commerçants de son entourage. Le comportement de Ah B Aj tel que décrit dans les nombreux témoignages (…), permet de considérer que la défunte avait développé une forme pathologique de prodigalité qui l’amenait non seulement à exposer des dépenses excessives pour elle-même mais également à gratifier son entourage sans faire preuve d’aucun discernement.
En l’état de ces éléments établissant que Ah B Aj souffrait d’insanité d’esprit sur des périodes immédiatement antérieure et postérieure à l’établissement du testament, il appartient à M. Aa A de démontrer que celui-ci a été rédigé dans un intervalle lucide le 15 décembre 2011, la seule mention portée à l’acte ‘saine de corps et d’esprit’ étant insuffisante, en l’état des éléments précédemment exposés, à établir que la testatrice était en possession de toutes ses facultés mentales au moment de sa rédaction.
En effet, contrairement à ce que soutient l’appelant, le fait que ce testament olographe ait été reçu par maître Marie-Paule Andreani, notaire, n’a pas pour effet d’établir ipso facto que la testatrice était en possession de ses facultés mentales au moment de la rédaction de l’acte. Il s’agit, en effet, d’un simple testament olographe et non d’un testament authentique et, comme justement relevé par le notaire lui-même dans un courrier adressé à At Au, mandataire judiciaire de Ah B Aj, l’officier public ministériel n’en a été que le récipiendaire et non le rédacteur. Il n’était donc pas en capacité d’évaluer la situation de santé mentale de la testatrice au moment de sa rédaction, étant, de plus, observé que le testament a été déposé en l’étude d’un notaire qui n’était pas le notaire de famille de la défunte, lequel aurait sans doute été le mieux à même de déceler chez celle-ci un éventuel trouble du comportement. »
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