Insanité d’esprit et acte authentique : les observations du notaire peuvent-elles avoir une incidence sur l’action en annulation du testament ?

 

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L’insanité d’esprit peut également être soulevée pour contester un testament réalisé par acte authentique c’est-à-dire avec un notaire, et demander son annulation. Toutefois, une question se pose quant à l’incidence des observations du notaire au sujet d’une insanité d’esprit du testateur.

 

Insanité d’esprit et acte authentique n’est pas une équation évidente…

Contester un testament authentique est difficile dans la mesure où l’acte authentique, c’est-à-dire réalisé en présence d’un notaire est présumé valable, et ne peut en principe être annulé qu’en cas d’inscription de faux. Néanmoins, il est toujours possible de solliciter la nullité de l’acte authentique si l’insanité d’esprit du testateur est suffisamment démontrée.

 

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1- Énonciations du notaire et insanité d’esprit

L’insanité d’esprit concernant un testament réalisé par acte authentique peut-elle être invoquée même en cas d’éléments ajoutés dans l’acte authentique selon lequel le testateur est sain de corps et d’esprit ?

Selon une jurisprudence quasi constante, de tels éléments sont inopérants, et l’insanité d’esprit pour un testament réalisé par acte authentique peut toujours être démontrée.

Cette solution a d’ailleurs été réaffirmée récemment : CA Reims, 09-10-2020, n° 19/01902

 

« II – Sur la validité du testament notarié :

Il résulte de l’article 901 du code civil que «pour faire une libéralité il faut être sain d’esprit».

La charge de la preuve de l’insanité d’esprit du testateur au moment de la rédaction de l’acte incombe à celui qui agit en annulation du testament.

Les juges peuvent prononcer la nullité d’un testament pour insanité d’esprit de son auteur en se fondant sur l’état habituel du testateur à l’époque où le testament a été rédigé, sauf au bénéficiaire de la libéralité à établir que le rédacteur du testament était exceptionnellement dans un intervalle de lucidité au moment de la confection de l’acte.

Enfin, les [indications] insérées par le notaire dans le testament authentique constatant que le testateur était sain d’esprit lors de [l’établissement de l’acte] ne font pas obstacle à ce que les intéressés prouvent [au contraire] par tous moyens son insanité. »

2- Mise sous sauvegarde de justice et épisodes confusionnels et insanité d’esprit

L’arrêt susvisé est également intéressant à deux égards. Premièrement, la mise sous sauvegarde de justice n’apporte aucune présomption quant à l’insanité d’esprit du testateur concernant un acte authentique (cliquez-ici pour une définition de présomption). Deuxièmement, les épisodes confusionnels n’établissent pas forcément une insanité d’esprit, en ce qu’il s’agit d’une alternance entre moments de lucidité et fragilité psychologique :

« Le testament litigieux a été établi par M. Ap Ab le 4 février 2014, reçu par Me Damien Delegrange, notaire de la famille à Attigny et en présence de deux témoins, Mme Ay Az et M. A Ba.

Cet acte écarte de la succession de M. Ap Ab, Mme Ar Ab (décédée en 2015) et Mme Al Ab, requérante initiale en annulation de cet acte et intimée dans le cadre de la présente procédure.

Le 4 février 2014 M. Ap Ab était hospitalisé à l’hôpital Manchester à Charleville-Mezières

-où le notaire et les témoins se sont déplacés- depuis le 24 janvier 2014. Il y avait précédemment séjourné entre le 16 janvier 2014 et le 22 janvier 2014. Il y est décédé le 8 mars 2014, un peu plus d’un mois après la rédaction du testament, à l’age de 83 ans.

Il résulte du compte-rendu établi le 10 mars 2014 par le docteur Aw (pièce n° 7) que M. Ap Ab a été admis le 24 janvier 2014 «pour prise en charge de douleurs du membre inférieur droit dans un contexte d’AOMI sévère stade IV». Le médecin précise que «dans le service les douleurs étaient difficilement soulagées malgré l’introduction d’un traitement par morphiniques. Le patient présentait des épisodes confusionnels et d’agitation probablement dans le contexte de métastases cérébrales d’un cancer bronchique et de traitement morphinique sur ces douleurs intenses d’artériopathies. Une prise en charge chirurgicale n’était malheureusement pas envisageable au vu de l’état général du patient».

Une déclaration aux fins de mise sous sauvegarde de justice a été faite le 12 février 2014, soit 10 jours après la rédaction du testament, au vu d’un certificat médical du docteur Aw. Cette procédure de mise éventuelle sous mesure de protection n’a pu aller à son terme du fait du décès survenu le 8 mars 2014.

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C’est sur ces deux éléments, à savoir les épisodes confusionnels mentionnés par le docteur Aw et sur la déclaration de mise sous sauvegarde de justice que s’est appuyé le premier juge pour considérer que le testateur était dans un état de «fragilité psychologique» et que la preuve de l’insanité d’esprit était rapportée.

Toutefois, le médecin évoque des «épisodes confusionnels», c’est-à- dire une alternance entre des moments de lucidité et des moments de confusion en lien avec ses douleurs physiques, sans qu’il soit question d’un état mental habituel durablement altéré, la pathologie de M. Ap Ab n’étant pas d’ordre mentale.

Par ailleurs, la déclaration de mise sous sauvegarde de justice en elle-même n’emporte aucune présomption d’insanité d’esprit. »

3- Incidences du témoignage du notaire et des témoins sur la nullité de l’acte authentique

L’arrêt susvisé illustre également que les témoignages du notaire et des témoins du testament authentique peuvent jouer un rôle prépondérant. En l’occurrence, ces derniers ont considéré que le défunt était sain d’esprit lors de l’établissement de l’acte authentique. Ainsi, la Cour a estimé que la preuve de l’insanité d’esprit n’était pas rapportée.


« Le notaire instrumentaire indique dans un courrier du 27 novembre 2017 :

‘’Je crois pouvoir écrire, sans manquer aux règles du secret professionnel, que M. Ap Ab s’était entretenu avec moi à plusieurs reprises et avant son hospitalisation de ses dernières volontés qu’il avait toujours exprimées dans le sens de celles figurant au testament du 4 février 2014. Il avait été un temps envisagé par M. Ap Ab d’établir son testament en la forme olographe, mais M. Ab qui à ses dires n’écrivait plus couramment a préféré la forme du testament authentique. Sur l’état de santé de M. Ab au moment de la réception, il n’y a rien à ajouter à l’indication qui figure à l’acte que le testateur m’est apparu et est apparu aux témoins comme étant parfaitement en possession de ses facultés intellectuelles. Je veux toutefois ajouter que j’ai le souvenir que M. Ab a, immédiatement après la rédaction du testament et sa signature, exprimé clairement devant les témoins et moi-même sa satisfaction de voir ainsi assuré l’expression de ses dernières volontés’’.

Les appelants soulignent que le notaire n’aurait à l’évidence pas acté le testament si M. Ap Ab, qu’il connaissait bien, avait présenté le moindre symptôme confusionnel le 4 février 2014.

Ils rappellent que M. Ap Ab a été hospitalisé pour une AOMI (artériopathie obstructive des membres inférieurs) et non en raison d’un cancer des poumons découvert auparavant et pour lequel M. Ap Ab ne souhaitait pas recevoir de traitement, ses douleurs étant ainsi liées à ses jambes, sans qu’il ne souffre de troubles ou défaillances psychologiques particulières.

À l’appui de leur recours les appelants produisent également deux attestations établies par les deux témoins à l’acte contesté :

Mme Ay Az, qui était l’auxiliaire de vie de M. Ap Ab indique que ce dernier «était tout à fait conscient de la décision qu’il prenait puisqu’il a ajouté ‘je suis content que ça soit fait’ (.…..) Je peux préciser qu’il était souffrant et fatigué comme c’était le cas déjà depuis de nombreux mois, mais à aucun moment durant la rédaction de son testament, il ne m’est apparu comme défaillant ou hésitant, il était au contraire déterminé et très lucide».

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M. Ba relate la façon dont le notaire a procédé et conclut : «M. Ab a déclaré clairement et sans ambiguïté ‘oui j’ai bien compris » il semblait satisfait d’avoir pu exprimer ses dernières volontés».

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la cour retient que la démonstration de l’insanité d’esprit de M. Ap Ab à la date du 4 février 2014 n’est pas établie, et partant, qu’il n’y a pas lieu d’annuler le testament contesté.

Le jugement est infirmé en ce sens. »

 

Cette décision démontre aussi l’intérêt que peut représenter une procédure d’appel dans le cadre d’un contentieux en testament, et l’intérêt de faire appel à un Avocat spécialiste en droit des successions pour un tel contentieux.

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