La sanction du recel successoral peut être alourdie dans certaines circonstances, notamment en cas de fausse attestation produite en justice par le receleur.

 

Fausse attestation produite en justice et recel successoral

Une fausse attestation produite en justice par l’un des héritiers peut donner lieu à des poursuites pénales. Sur le plan civil, la production en justice d’une fausse attestation peut donner lieu à la sanction de recel successoral lorsque celle-ci s’accompagne de détournements de biens ou sommes d’argent.

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1- Fausse attestation produite en justice : un acte « tentant » par sa facilité de réalisation

Il peut être tentant pour une partie à un procès de produire une fausse attestation. En effet, l’attestation est un moyen de preuve facile pour les parties : il s’agit d’un document papier à remplir à la main par une personne tierce au procès et qui est susceptible de constituer une preuve importante en justice. Parfois, une attestation produite en justice peut même changer toute l’issue du litige.

2- Fausse attestation produite en justice : conséquences pénales et civiles

Une fausse attestation est une attestation qui n’est pas rédigée de la main de l’auteur qui y est indiqué. La production en justice d’une fausse attestation peut être lourdement sanctionnée sur le plan pénal.

Sur le plan civil, l’établissement et le fait de produire comme pièce une fausse attestation peut avoir de lourdes conséquences sur l’issue du litige.

Un arrêt récent de la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 29-09-2020, n° 17/05440) illustre les conséquences que peuvent avoir une fausse attestation produite en justice sur l’issue d’un litige en matière de succession.

Résumé de l’affaire :

Dans cette affaire, l’un des héritiers a produit une fausse attestation de sa mère décédée, affirmant que celle-ci lui avait confier la mission de gérer une partie de son argent et de le faire fructifier. Finalement, à l’issue d’une expertise graphologique (effectuée selon des méthodes similaires à celle d’une expertise graphologique de testament olographe), il s’est avéré que l’écriture n’était pas celle de sa mère décédée, et qu’il s’agissait ainsi d’une fausse attestation produite en justice. Il ne s’agissait pas effectivement de la même écriture …

L’héritier a alors décidé de demander par l’intermédiaire de son Avocat des dommages et intérêts supplémentaires, en sus des sanctions spécifiques prévus en cas de recel successoral.

La Cour a alors décidé de sanctionner lourdement l’auteur de la fausse attestation produite en justice. Celui-ci a reçu la sanction d’un recel successoral, à savoir qu’il a été condamné à rapporter à la succession les sommes d’argent, sans pouvoir participer au partage pour ces dites sommes. Il a également été condamné à payer des dommages et intérêts aux autres héritiers qui ont dû effectuer des recherches pour établir qu’il s’agissait de fausses attestations.

Extraits de la décision :

 

« FAITS ET PROCÉDURE

Ah Ai, veuve A, est décédée le 25 novembre 2013 laissant pour lui succéder M. Ae A, Mme Aa A épouse B et M. Ac A, ses trois enfants.
Ses comptes avaient été gérés par M. Ae A de 1982 à son décès.
Maître Conuau-Chauvin, notaire saisi de la succession, a dressé un procès-verbal de difficultés le 10 février 2015.
Par acte d’huissier délivré le 17 septembre 2015, Mme Aa A et M. Ac A ont fait assigner M. Ae A devant le tribunal de grande instance de Versailles qui a prononcé le jugement déféré.
Dans son arrêt du 15 février 2019, la cour a relevé que le litige portait notamment sur les pouvoirs et autorisations donnés par Ah A à M. Ae A et que, dans deux attestations des 4 juin 1986 et 5 juin 1994, celle-ci avait certifié avoir donné à son fils ses pouvoirs et autorisations et avait fixé sa rémunération.
L’expert a conclu que les écritures et signatures portées sur les attestations des 4 juin 1986 et 5 juin 1994 au nom de Ah A n’étaient pas de sa main.
Aux termes de leurs écritures précitées, Mme Aa A et M. Ac A exposent que, devant le notaire, M. Ae A a rappelé avoir géré les comptes de sa mère depuis les années 1982, qu’ils lui ont demandé des justificatifs et qu’aucun accord n’a été trouvé.
Ils sollicitent la réintégration de la somme de 106.945,30 euros.
Ils relèvent qu’il a reconnu devoir rapporter les sommes de 52.817,68 euros au titre de sommes portées sur des livrets de caisse d’épargne ouverts à son nom et à ceux de son épouse et de ses enfants et de 39.427,62 euros au titre de la gestion des sommes de leur mère.
Ils observent qu’il a déduit de la somme de 54.127,62 euros provenant de cette gestion une indemnité de 14.700 euros.
Ils indiquent que, pour justifier cette déduction, il a versé aux débats deux attestations des 4 juin 1986 et 5 juin 1994 qui auraient été rédigées et signées par la défunte par lesquelles celle-ci l’autoriserait à procéder à des retraits de ce montant.
Ils soulignent que l’expert a conclu que l’écriture et la signature portées sur ces attestations n’étaient pas de la main de leur mère.
Ils affirment que l’intimé a profité de l’état de faiblesse de sa mère pour s’approprier la gestion de ses comptes.
Ils exposent que, courant juin et juillet 1983, Mme Ah Ai a été amenée dans un centre hospitalier par M. Ae A ‘alarmé d’un état de prostration, d’une certaine adynamie physique et surtout alarmé par la réapparition de thèmes préjudiciels qui avaient déjà été évoqués lors de précédentes hospitalisations’ puis, du 13 novembre 1992 au 15 février 1993 en raison d’un accident de la voie publique et, du 9 avril 1996 au 29 avril 1996, en raison de chutes à répétition dans un contexte de psychose chronique.
Ils estiment donc peu probable qu’elle ait pu rédiger les attestations litigieuses et soulignent que l’intimé a pu ouvrir des livrets et autres comptes à son profit, à celui de son épouse et de ses enfants.
Ils ajoutent qu’il n’a jamais remboursé quelque somme que ce soit, notamment celle de 35.000 francs empruntée à la défunte le 6 septembre 1982 et qui est incluse dans celle de 54.127,62 Euros.
Ils sollicitent la réintégration d’autres sommes.
Ils citent celle de 4116,12 euros (27.000 francs).
Ils rappellent qu’en première instance, l’intimé soutenait avoir été autorisé à effectuer, le 5 janvier 1994, un retrait de 27.000 francs pour l’achat d’un véhicule Peugeot pour son fils constituant selon lui « un cadeau ne donnant lieu à aucun remboursement ».
Ils déclarent qu’il s’agissait en réalité d’un détournement de sa part à son seul profit.
Ils citent celle de 7.622,45 euros (50.000 francs)
Ils affirment qu’il n’a jamais remis la somme de 50.000 francs perçue le 31 juillet 1995 suite à un accident de droit commun subi par la défunte qu’il représentait.
Les appelants invoquent un recel civil.
Ils rappellent l’article 778 du code civil.
Ils font valoir la volonté de M. Ae A de rompre l’égalité dans le partage.
Ils soutiennent avoir démontré qu’il a détourné des sommes appartenant à la défunte en ouvrant des livrets de Caisse d’Epargne à son nom, à celui de son épouse et de ses enfants Al et Am.
Ils déclarent qu’il a, en première instance, versé aux débats de fausses attestations afin de justifier ces détournements à son profit ou à celui de son fils.
Ils exposent qu’il a procédé à des virements de sommes appartenant à la défunte sur son compte, celui de son épouse ou de leurs enfants, conservé ces sommes pendant plus de 30 ans et en a tiré profit.

(…)

Ils demandent enfin, en conséquence du [recel successoral avant décès], qu’il soit privé de sa part sur tous les biens recelés qui seront entièrement attribués à ses cohéritiers.
Les appelants invoquent un préjudice.
Ils exposent avoir été contraints à engager la présente procédure et à faire face à la production de fausses attestations ce qui s’apparente à une tentative d’escroquerie à jugement.
En réponse à l’intimé, ils contestent s’être fait remettre une bague en or.
Ils s’estiment recevables à invoquer le recel alors surtout que le rapport d’expertise a démontré qu’il avait versé aux débats des attestations qu’il avait lui-même rédigées et signées.
Ils rappellent que les attestations produites par lui étaient fausses ce qui contredit que la défunte lui ait confié la gestion de ses comptes.
Ils soulignent que la somme de 27.000 francs a été qualifiée de cadeau dans l’attestation du 5 juin 1994 faussement attribuée à la défunte.

(…)

Sur les sommes à réintégrer

Considérant qu’en première instance, M. Ae A avait accepté de réintégrer les sommes de 52.817,68 euros et de 54.127,62 euros ;

Considérant que le tribunal avait déduit, à sa demande, de ces sommes celle de 14.700 euros correspondant à la rémunération de sa gestion résultant de l’attestation du 4 juin 1986″;

Considérant que cette attestation n’émanait pas, en réalité, de la défunte ainsi qu’il résulte des conclusions -non contestées- de l’expert ;

Considérant que celle-ci n’avait donc pas décidé de rémunérer la gestion de son fils ; qu’aucune rémunération n’est due ;
Considérant que la somme totale de 106.945,30 euros devra, en conséquence, être réintégrée ;

Considérant que, dans son attestation du 5 juin 1994, « Ah A » déclarait avoir autorisé l’intimé à retirer, le 5 janvier 1994, la somme de 27.000 francs pour l’achat d’un véhicule destiné au fils de celui-ci et précisait que ce montant constituait un cadeau de sa part ne donnant lieu à aucun remboursement ;

Considérant que cette [fausse attestation produite en justice] n’a, en réalité, pas été rédigée par elle ; que M. Ae A ne peut donc l’invoquer ;

Considérant qu’il ne verse aux débats aucune pièce d’où il résulterait que la somme retirée était destinée à son fils ; qu’il ne justifie pas davantage, au regard de son montant et de la situation de fortune de sa mère lors de la donation, qu’il s’agit d’un présent d’usage ;

Considérant que cette somme devra donc être réintégrée ;

Considérant que la Société Française de Recours a fait part à Ah A, le 31 juillet 1995, d’une proposition de l’UAP de lui verser une somme de 50.000 francs ;

Considérant, d’une part, qu’il ne résulte d’aucune pièce que cette proposition a été acceptée ;

Considérant, d’autre part, qu’il ne ressort d’aucun document que cette somme a été, in fine, perçue- directement ou indirectement- par M. Ae A ;

Considérant que la demande de réintégration de cette somme sera donc rejetée ;

Considérant, en conséquence, qu’en sus des sommes de 52.817,68 et 39.427,62 euros, devront être réintégrées celles de 14.700 euros et de 4.116,12 euros ;

Sur le recel

Considérant [que selon] l’article 778 du code civil, « (…) »’;
Considérant que le recel successoral suppose donc la réunion d’un élément matériel consistant en des actes de dissimulation et d’un élément intentionnel consistant en une volonté de porter atteinte à l’égalité du partage’;
Considérant qu’il appartient à celui qui l’invoque de rapporter la preuve, notamment, de l’intention frauduleuse de l’héritier auquel il est reproché, celui-ci n’ayant pas à démontrer sa bonne foi’; [cliquez-ici pour une définition de la bonne foi].
Considérant qu’il résulte du procès-verbal de difficultés du 10 février 2015 que M. Ae A a reconnu que la somme de 92.245,30 euros devait être réintégrée dans la succession, après déduction de celle de 14.700 euros »;
Considérant qu’il a détaillé, devant le notaire, les placements et retraits effectués »;
Considérant que les appelants ne versent aux débats aucune pièce d’où il résulterait qu’il n’a communiqué ces renseignements et justificatifs qu’après qu’ils ont eux-mêmes invoqué le détournement de ces sommes’;
Considérant que ceux-ci ne démontrent donc pas, s’agissant de ces sommes, une volonté de M. Ae A de rompre l’égalité du partage’;
Considérant que le recel n’est pas constitué à ce titre’;
Considérant que M. Ae A ne sera donc pas privé de sa part sur ces sommes’; qu’il ne sera pas tenu à s’acquitter des intérêts réclamés’;
Considérant, toutefois, s’agissant de la somme de 27.000 francs, que M. Ae A n’a pas hésité à établir une fausse attestation pour en justifier l’appropriation par lui’;
Considérant qu’il a donc détourné cette somme et entendu rompre l’égalité dans le partage’;
Considérant qu’il a ainsi commis un recel’;
Considérant que celui-ci n’a été découvert qu’après les conclusions de l’expert’; qu’il ne peut être fait grief aux appelants de ne pas l’avoir invoqué lors du procès-verbal de difficultés’;
Considérant que, conformément aux dispositions de l’article 778 du code civil, M. Ae A n’a aucun droit sur la somme de 4.116,12 euros ainsi détournée’;
Considérant qu’en application du même article, il devra restituer les intérêts légaux portant sur cette somme depuis son appropriation soit depuis le 5 janvier 1994″;

Sur les autres demandes

Considérant que le recel de la somme de 4.116,72 euros et l’établissement d’une fausse attestation constituent des fautes qui ont causé un préjudice aux appelants, tenus d’effectuer des recherches »;
Considérant que l’intimé devra leur payer la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts »;
Considérant que M. Ae A devra, malgré la nature familiale du litige, verser à Mme Aa A épouse B et à M. Ac A la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de leurs frais irrépétibles exposés en cause d’appel (…) »

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